Lahcen Isaac Hammouch « Agadir : l’hôpital de la honte, quand donner la vie devient un risque de mort »

euromagreb15 سبتمبر 2025آخر تحديث :
Lahcen Isaac Hammouch « Agadir : l’hôpital de la honte, quand donner la vie devient un risque de mort »

Depuis plus de vingt-cinq ans, l’hôpital régional Hassan II d’Agadir traîne une réputation de lieu de souffrance et de désespoir. Aujourd’hui encore, il est au cœur d’un scandale sanitaire qui bouleverse le Maroc. En l’espace d’une seule semaine, six femmes enceintes y ont trouvé la mort lors d’accouchements par césarienne. Dans la rue, devant l’établissement, des habitants en colère parlent même de dix décès récents dans le service maternité. Les slogans des manifestants résonnent comme un cri de détresse : « assez de négligence », « assez de corruption », « la santé est un droit, pas un privilège

Ces drames ne sont pas des cas isolés. Ils sont le symptôme d’un hôpital en crise chronique. Les chiffres officiels confirment la gravité de la situation. En 2022, une étude réalisée dans le service de néonatalogie révélait un taux de mortalité effrayant : sur 639 nouveau-nés hospitalisés, 115 sont décédés, soit 18 %. La quasi-totalité de ces bébés sont morts durant leur première semaine de vie. Les causes sont connues – asphyxie, prématurité, hypothermie, manque de moyens – et auraient pu être évitées si l’hôpital disposait de ressources adaptées.

Pour les familles endeuillées, le constat est insupportable : là où la vie devait s’épanouir, c’est la mort qui frappe. « On ne peut pas accepter qu’en 2025 des femmes meurent en accouchant faute d’équipement », s’indigne une habitante d’Agadir, venue manifester devant l’hôpital. D’autres dénoncent la précarité des conditions de travail du personnel médical, contraint de gérer des urgences dans un chaos permanent.

Ce qui choque encore davantage, c’est la double responsabilité politique qui pèse sur cette affaire. Aziz Akhannouch, chef du gouvernement et en même temps maire d’Agadir, multiplie depuis des années les annonces de réhabilitation et de modernisation de l’hôpital Hassan II. Mais sur le terrain, rien n’a changé. Les urgences restent saturées, la maternité déborde, les appareils manquent, et les médecins sont trop peu nombreux pour faire face à l’afflux de patients. Entre les promesses officielles et la réalité vécue par la population, le fossé est immense.

Au-delà d’Agadir, c’est tout le système de santé marocain qui est en cause. Deux mondes s’y côtoient : celui des cliniques privées, modernes et bien équipées, réservées à une minorité de riches ; et celui des hôpitaux publics, délabrés, sous-financés, où la majorité des Marocains, surtout les plus pauvres, doivent se soigner. La discrimination est flagrante : au Maroc, l’accès à la santé dépend directement du portefeuille. Les riches et les responsables politiques, eux, ne prennent pas ce risque. Lorsqu’ils tombent malades, ils s’envolent pour la France, la Belgique ou l’Allemagne. Ils fuient un système qu’ils dirigent pourtant, laissant la population affronter seule la précarité et les dangers du quotidien hospitalier.

Pourtant, le budget existe : plus de 28 milliards de dirhams sont consacrés chaque année à la santé. Mais la répartition est inéquitable, les investissements mal gérés, parfois détournés, et surtout insuffisants pour répondre aux besoins réels. Le Maroc accuse un déficit de 45 000 lits hospitaliers et dispose de moins de 8 médecins pour 10 000 habitants, loin des standards internationaux. Dans ce contexte, Agadir est loin d’être une exception : la crise touche Salé, Essaouira, Rabat, et de nombreuses autres villes. Mais l’hôpital Hassan II concentre aujourd’hui toute la colère parce qu’il symbolise une faillite que plus personne ne peut ignorer.

Ce qui se joue à Agadir dépasse un simple hôpital. C’est une question de dignité nationale. Peut-on accepter que des femmes meurent en donnant la vie ? Peut-on détourner le regard alors que des nouveau-nés succombent faute de soins élémentaires ? L’affaire Hassan II n’est pas seulement un drame local : c’est un miroir tendu à toute une société. Un miroir qui reflète les inégalités, la négligence et l’injustice, mais aussi l’urgence absolue d’agir. Car derrière les statistiques, il y a des vies perdues, des familles brisées et une confiance détruite. Et tant que rien ne changera, d’autres mères, d’autres enfants, continueront à payer de leur vie l’indifférence d’un système à bout de souffle

 

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